Peut-on admirer à la fois les cauchemars éveillés de Kafka et la pureté du Petit prince de Saint-Exupéry ?

Peut-on aimer la simplicité fulgurante du haïku japonais et les fictions hallucinées de Philip K. Dick ?

Pour beaucoup, c'est incompatible, inconciliable. C'est l'un ou l'autre.

Personnellement, j'ai fait mon choix : je garde tout !

Je croise souvent des gens (y compris des éditeurs et des écrivains) qui disent détester la science-fiction.

Trop de gadgets, d'enfantillage technologique, trop d'idées délirantes qui conduisent nulle part…

À leurs yeux, la science-fiction est une sous-littérature de pacotille, sans profondeur, sans humanité.

Vouloir les convaincre du contraire serait une perte de temps.

On ne trouve sur son chemin que ce que l'on s'autorise à trouver.

Si toutefois certains hésitent, je les invite à lire Philip K. Dick que je considère comme un des écrivains fondamentaux du XXème siècle.

Loin de la littérature académique rabâchant à l'infini les mêmes recettes, Dick a pris les problèmes cruciaux de son temps à bras le corps.

Après le choc des deux guerres mondiales, les horreurs planifiées du nazisme, les baisers dévastateurs de deux bombes atomiques, pouvait-on continuer d'écrire comme avant, comme si rien ne s'était passé ? Ne fallait-il pas interroger ce qui a rendu possible ces monstruosités ?

Dans ses nouvelles et ses romans, Philip K. Dick ne cesse de poser ces deux questions-clefs :

Qu'est-ce que le réel ?

Qu'est-ce qu'un être humain ?

Dick nous montre que nous vivons dans des simulacres de réalité, des bulles illusoires, des espaces fantasmatiques dont nous sommes à la fois les prisonniers et les architectes inconscients.

Il nous montre aussi que notre humanité n'est pas un acquis définitif, mais un territoire fragile, toujours menacé, un frêle esquif qui ne peut surnager sur l'océan du néant que grâce à notre compassion et notre empathie.

En ce début de XXIème siècle, lire et relire Philip K. Dick, c'est oser sortir du "grand parc d'attraction" généralisé dans lequel vivent la plupart de nos contemporains.

C'est accepter de se perdre pour mieux se retrouver.

C'est plonger notre esprit dans un bain révélateur, parfois dérangeant et corrosif, pour mieux forger notre liberté intérieure.

Philip K. Dick est né en le 16 décembre 1928.

10 jours seulement avant mon propre père.

Bien qu'il écrivait dans une autre langue que la mienne, il m'a fait toucher du doigt le pouvoir éveilleur des mots.

Il est l'un de mes pères en imaginaire, en littérature et en humanité.